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Interview exclusive de Madame Sophie Cluzel : "La différence est source de richesse pour un employeur"

Au lendemain de l’annonce du confinement, Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier Ministre, en charge des personnes handicapées a répondu aux questions de Juralliance Le mag’. Elle annonce que "l’ensemble des établissements et services médico-sociaux (ESMS)", y compris les ESAT "restent ouverts". L’objectif : "les personnes ne doivent pas se retrouver isolées chez elle, en rupture de lien social". Face à la crise sanitaire qui fragilise la dynamique de recrutement et de maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap, Sophie Cluzel en appelle à l’union et à la mobilisation de tous les acteurs pour que "les personnes handicapées ne soient pas les premières victimes de la crise". Elle rappelle les outils et mesures d’aide à disposition pour favoriser l’emploi des personnes en situation de handicap et invite à la créativité pour maintenir les rencontres prévues lors du Duoday. Elle conclut cet interview par un message aux employeurs : "Tous les métiers sont compatibles avec le handicap. (…) Le recrutement inclusif peut-être source de performance ou encore d’innovation technologique".

Madame Sophie CluzelMadame Sophie Cluzel
©Granier

Selon vous, y aura-t-il un avant et un après la crise pour les personnes en situation de handicap vis-à-vis de l’emploi ? Ne risquent-ils pas d’être les premières victimes de la crise économique qui s’annonce ?

"Alors que le nombre de demandeurs d’emploi handicapés était descendu sous la barre symbolique des 500 000 avant le début d’épidémie de la Covid-19, la crise sanitaire fragilise aujourd’hui la dynamique de recrutement et de maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap.

Les personnes en situation de handicap ne doivent pas être les premières victimes de cette crise économique. État, collectivités, FIPHFP, Agefiph, ARS, Pôle Emploi, Cap Emploi, CFA, associations, ESMS, employeurs publics et privés nous devons tous nous mobiliser et unir nos énergies, tant au niveau national que sur les territoires, au plus près des bassins d’emploi.

L’événement Duoday, déjà reporté du fait du premier épisode de confinement, est maintenu le 19 novembre prochain. De ces rencontres entre personnes en situation de handicap et employeurs peuvent émerger des propositions de stages voire d’emploi. La crise ne doit donc pas empêcher ces formidables échanges. Soyons créatifs et adaptons le format des rencontres au contexte de confinement : duos inversés, café zoom, rencontres en distanciel…

Il s’agit aussi de préserver l’emploi des personnes en situation de handicap qui sont en poste. Les fonds AGEFIPH pour le secteur privé et FIPHFP pour le secteur public ont mis en œuvre des mesures exceptionnelles pour prendre en charge les surcoûts d’équipements et le télétravail. Dans ce contexte particulier, le télétravail qui se généralise ne doit pas être source d’exclusion : les collaborateurs qui en auraient besoin doivent se voir proposer une écoute de la part des structures qui les ont accompagnés vers l’emploi."

"L’ensemble des établissements et services médico-sociaux (…) restent ouverts. C’est un des enseignements du printemps : les personnes ne doivent pas se retrouver isolées chez elle, en rupture de lien social."

Qu’en est-il des Établissements Sociaux et Médico-sociaux et notamment des ESAT dont l’activité est également impactée par la crise sanitaire ?

"Le message est très clair : l’ensemble des établissements et services médico-sociaux (ESMS) pour enfants et pour adultes, ainsi que les accueils de jour et les plateformes de répit restent ouverts, au même titre que les crèches, écoles, collèges et lycées et les règles sanitaires sont renforcées. Les ESAT doivent donc également rester ouverts.

C’est un des enseignements du printemps : les personnes ne doivent pas se retrouver isolées chez elle, en rupture de lien social. Il est donc important que les travailleurs d’ESAT comme tout salarié, dans le respect des consignes sanitaires, continuent à venir dans l’établissement. Si l’activité de l’ESAT est impactée, les professionnels doivent faire preuve de créativité pour proposer aux travailleurs des actions de formation, réflexion autour de leur projet, etc.

Je rappelle que de mars à octobre le gouvernement a mis en place un dispositif exceptionnel pour soutenir l’ensemble des ESAT avec la prise en charge de la rémunération garantie des travailleurs sans justification à apporter par l’ESAT de l’impact crise sur son établissement, soit près de 160 millions d’euros alloués."

La Ministre Élisabeth Borne et Jean Castex ont annoncé le déblocage de 6,5 millions d’Euros dans le cadre de France Relance et plus particulièrement du plan #1jeune#1solution à Besançon en juillet dernier. Vous indiquez que ce plan servira également à développer l’emploi des personnes en situation de handicap avec un objectif d’embauche de 8000 jeunes en situation de handicap. Comment sera fléché cet argent ?

"Le plan de relance cible effectivement également l’emploi des personnes en situation de handicap. Le gouvernement mobilise 100 millions d'euros de financements dédiés ; il s’agit d’aides financières incitatives visant à limiter le coût du travail pour l’employeur qui recrute une personne en situation de handicap :

  • Création d’une aide spécifique (85 millions d’euros de crédits) : subvention de 4 000 euros pour tout recrutement en CDI ou CDD de plus de 3 mois d’un salarié en situation de handicap du 1er septembre 2020 au 28 février 2021 et ce sans limite d’âge.
  • Création de deux aides de droit commun mobilisables pour les personnes handicapées :

       - aide jeune : 4 000 euros CDI ou CDD de plus de 3 mois d’août 2020 à janvier 2021 ;

       - aide à l’apprentissage : 5 000 ou 8 000 euros pour tout contrat d’apprentissage signé du 1er juillet 2020 au 28 février 2021.

L’apprentissage peut être un levier vers l’emploi durable. Les Centres de Formation des Apprentis "ordinaires" (CFA) de droit commun doivent pouvoir accueillir tout apprenti, quelque soit son handicap, sans limite d’âge. Chaque CFA a désormais l’obligation d’avoir un référent handicap et d’évaluer au démarrage du contrat, les besoins en compensation de l’apprenti avec une grille pour sécuriser le parcours de l’apprenti. Le coût de la formation pris en charge par l’OPCO intègre désormais le coût de ces mesures supplémentaires à mettre en œuvre. L’objectif est bien d’augmenter les entrées en contrat d’apprentissage des apprentis en situation de handicap limitées aujourd’hui à 1% dans le secteur privé et 5% dans le secteur public.

Au regard des prises en charge de l’AGEFIPH et du FIPHFP (80% du salaire chargé de l’apprenti), le reste à charge est très faible pour l’employeur. Il s’agit donc de proposer l’apprentissage comme un vrai levier qui peut également s’inscrire dans un parcours d’insertion après une période de mise à disposition (MAD) par exemple."

Avec EA Alliance Pro, une Entreprise Adaptée dans le domaine de la restauration, Juralliance souhaite ouvrir plus grand les portes vers l’emploi ordinaire aux personnes en situation de handicap sur le secteur du Haut-Jura. À terme, nous visons l’embauche de 15 personnes en situation de handicap. Pour vous, en quoi la forme de l’EA est une bonne solution vers plus d’inclusion ?

"Dans le cadre de la stratégie  "Osons l’Emploi", une large place est faite aux entreprises adaptées comme levier vers l’emploi ordinaire et l’emploi ordinaire "classique". Un plan spécifique "Cap vers l’entreprise inclusive 2018-2022" prévoit le doublement des personnes accompagnées par les entreprises adaptées (de 40 000 à 80 000 personnes).

Il s’agit donc d'accélérer la transformation des Entreprises Adaptées et déployer les nouveaux CDD tremplin et ce, en dépit de la crise. Un plan exceptionnel a été déployé en août 2020 pour pallier les effets de la crise (pertes d’exploitation, surcoûts…) : 34 Millions d'euros ont ainsi été alloués à 650 EA, soit 84% des structures du secteur.

Avec Elisabeth Borne, nous souhaitons accompagner les EA à créer des partenariats avec des entreprises, notamment sur des filières en tension en termes de compétences et faciliter le recours aux contrats tremplin.

Il s’agit également d’aider les EA à mobiliser les budgets formations du PIC EA (Plan d'Investissement dans les Compétences Formation des salariés handicapés en Entreprises Adaptées) pour les EA lancées dans les expérimentations CDD tremplin et EATT (Entreprises Adaptées de Travail Temporaire)."

"Le taux de sortie d’ESAT est de moins de 1% en 2018 ; il faut augmenter ce taux et favoriser l’insertion pour les travailleurs dont c’est le projet."

Selon vous, quels sont les leviers pour développer l’emploi des personnes en situation de handicap intellectuel ?

"Les personnes avec une déficience intellectuelle ont toute leur place dans le milieu ordinaire de travail dès lors qu’un accompagnement spécifique est mis en place tant pour la personne que pour l’employeur et le collectif de travail. Le taux de sortie d’ESAT est de moins de 1% en 2018 ; il faut augmenter ce taux et favoriser l’insertion pour les travailleurs dont c’est le projet.

C’est la raison pour laquelle 15 millions de financement supplémentaires ont été fléchés pour renforcer les Dispositifs Emploi Accompagné (DEA). Ces dispositifs, encore trop peu connus, permettent un accompagnement spécifique vers et dans l’emploi des personnes en situation de handicap qui répond aux caractéristiques suivantes :

- accompagnement personnalisé, mobilisable sans limitation de durée, avec une intensité variable selon les besoins exprimés ;

- accompagnement de la personne mais aussi de son employeur et du collectif de travail si elle est en poste par un job coach externe ;

- accompagnement mobilisé en subsidiarité après les autres services et dispositifs existants (Pôle emploi, Cap emploi, prestation d’appui spécifique)."

Trois types de publics sont ciblés par cet accompagnement spécifique, dont les travailleurs d’ESAT portant le projet d’intégrer le milieu ordinaire. Ce mode d’accompagnement correspond en effet particulièrement aux personnes avec un handicap psychique, des troubles de l’autisme ou des déficiences intellectuelles.

"S’ouvrir à la différence permet à l’entreprise d’afficher ses valeurs, d’améliorer le dialogue social et renforce le sentiment d’appartenance des collaborateurs."

Quel(s) messages souhaitez-vous faire passer aux entreprises du monde ordinaire au regard de l’emploi des personnes handicapées ?

"En 2020, il est temps de démystifier le handicap et d’expliquer la diversité des situations de handicap au travail. Pour objectiver le regard, il faut parler "handicap" dans l’entreprise, expliquer que 80% des handicaps sont invisibles, que le handicap c’est le handicap moteur, visuel, auditif, psychique, intellectuel mais aussi AVC, cancers, maladies dégénératives, sclérose en plaques, diabète, épilepsie, dépression chronique, etc.

La conclusion : tous les métiers sont compatibles avec le handicap tellement sa réalité au travail est diverse.

Les études ont montré par ailleurs, en quoi la différence est source de richesse pour un employeur :

-   s’ouvrir à la différence permet à l’entreprise d’afficher ses valeurs, d’améliorer le dialogue social et renforce le sentiment d’appartenance des collaborateurs ;

-  le recrutement inclusif est également source de performance : intégrer des TH peut amener à individualiser le management et donc rendre l’entreprise plus agile ;

- le handicap peut aussi être source d’innovation technologique ou en matière d’organisation du travail (ex télétravail) utiles pour tous les collaborateurs.

L’emploi des personnes handicapées ne pourra pas se faire sans les employeurs : ce sont eux qui ont la clé. Avec le gouvernement, nous nous attachons à faire sauter tous les verrous qui empêchent, encore aujourd’hui, cette rencontre entre employeurs et personnes en situation de handicap."

Modifié le lundi 02 novembre 2020